32 ans d'expériences reconnues

prixMoablaou-SA, c’est toute une histoire, mais surtout des chiffres qui donnent le tournis : 200 000 poules pondeuses, 150 000 à 180 000 œufs et 25 tonnes d’aliments pour volaille et bétail produits par jour, 100 emplois directs et 1 200 emplois indirects… et un chiffre d’affaires de 2 milliards de francs CFA en 2018.

La révolte

Tout commence en 1986. De retour d’un voyage d’études à l’université agronomique de Gembloux en Belgique,

le jeune Abou Simbel Ouattara, alors en poste à l’Office national des céréales (OFNACER), se révolte. Pour lui, la différence de développement entre les pays européens et les pays africains se situe au niveau de la rigueur. Il démissionne de son poste de directeur régional de l’Office à Koupéla pour s’aventurer dans l’aviculture moderne. L’homme qui a passé 11 ans en tant que salarié de l’État veut être plus utile à sa communauté.

La folie

Il s’installe dans le village de Kosyam et démarre avec 500 pondeuses. Puis, face à une capitale qui prenait du ventre, il migre à Nambé dans la commune de Koubri. « Au début, c’était une folie car personne ne croyait que nous pouvions gagner notre pain dans cette activité. C’était laborieux car il fallait travailler deux ou trois fois plus qu’ailleurs », raconte-t-il. L’entrepreneur se souvient également des railleries que son fils a subies en 1993 alors qu’il préparait le Certificat d’études primaires. « Quand on a demandé ce que son papa faisait comme activité, il a dit que son père élève des poules. La classe a ri et même l’enseignant. Il est rentré à la maison tout malheureux ».

De la méfiance à la confiance des impôts

En 2005, Moablaou passe à une vitesse supérieure en faisant de l’aviculture industrialisée en atmosphère contrôlée. C’est-à-dire que tous les bâtiments de production sont climatisés et l’automatisme est poussé au maximum afin que les aléas climatiques n’aient pas un impact négatif sur la production.

À ce moment, l’entrepreneur échappe à un redressement fiscal. « C’était en 2005-2006, quand nous avions déposé les états financiers. Nous avions investi 400 millions pour l’industrialisation. Les agents des impôts ont appelé mon comptable pour lui dire qu’aucun éleveur de poules ne peut investir 400 millions de francs CFA. Ils lui ont dit que s’il ne corrigeait pas les chiffres, l’entreprise subirait un redressement. J’ai pris rendez-vous avec le chef de la division fiscale. Et je lui ai demandé de nous rendre visite. Il s’est rendu dans notre ferme, accompagné de deux autres personnes. Ils étaient merveilleusement étonnés et se sont excusés », relate M. Ouattara.

Le travail, un plaisir

Contrairement à d’autres entrepreneurs qui ont failli tout plaquer, Abou Simbel Ouattara, lui, ne s’est pas laissé envahir par le découragement malgré l’épidémie de grippe aviaire qui a décimé ses 120 000 pondeuses. « Je n’avais pas le choix car j’avais coupé les ponts avec l’administration publique. De même, j’abandonne rarement. Je ne me disperse pas non plus dans plusieurs activités. Je connais mes forces et mes faiblesses », confie l’homme pour qui le travail ne doit pas être vécu comme un labeur mais plutôt comme un plaisir.

Une force humaine

La force de Moablaou, selon son promoteur, c’est son expérience de 32 ans, la qualité de sa production et sa force humaine. À mesure que l’entreprise croissait, elle mettait en place les jalons humains pour répondre à la demande. Le directeur technique de l’entreprise est un vétérinaire. L’équipe compte deux ingénieurs d’élevage et des techniciens supérieurs d’élevage. L’entreprise, au fil du temps, a recentré son système de commercialisation. Elle ne parcourt plus la ville à la recherche de clients. Ce sont eux qui viennent à elle. Chaque matin, le siège de l’entreprise sis à la Patte d’Oie ne désemplit pas. Ce sont des centaines de personnes, notamment des femmes, qui viennent s’y ravitailler. D’ailleurs, la production d’œufs est consommée à 90% à Ouagadougou.

Pas de crédit, repassez demain

Même si tout semble rouler sur des roulettes pour l’entreprise, la filière avicole rencontre des difficultés. « Tout d’abord, nous n’avons pas assez de formation. Beaucoup pratiquent cette activité par passion ou par avidité du gain. La deuxième difficulté est qu’il n’y a pas de promotion ni de l’État, ni des institutions. Les gens y vont à leurs risques et périls. Il y a une conception de nos décideurs qui veut que l’aviculture moderne soit un fantasme pour ceux qui la pratiquent. Même quand vous atteignez un certain niveau, les banques ne vous font pas assez confiance pour vous accorder un financement. C’est dommage », soupire-t-il.

trophe« Les meilleurs sont morts »

Les mérites de Moablaou ont été reconnus en mai 2019 à Abidjan par une agence de communication qui a décerné un prix au promoteur. « J’ai reçu un courrier en fin février 2019 d’une agence de communication, installée en Côte d’Ivoire (Afrique Vérité), qui m’a informé que j’ai été élu meilleur promoteur de la filière avicole de la zone UEMOA. Quand quelqu’un me dit que je suis le meilleur, je me méfie de cette personne. Car les meilleurs sont déjà morts. J’ai tout de suite pensé à une plaisanterie parce que élever des poules et recevoir un prix me semblait assez lyrique. Mais, ils ont insisté pour dire que ce n’était pas un canular. »

Pour rassurer l’entrepreneur, une équipe de l’agence se rend à Ouagadougou au mois de mars et y réalise un mini-documentaire. « On ne vit pas que de pain. Quand les gens vous honorent, il ne faut pas refuser », note M. Ouattara, sans orgueil. Au cours de la cérémonie de remise de prix, onze personnes ont été distinguées parmi lesquelles le ministre burkinabè en charge de l’Éducation nationale, le Pr Stanislas Ouaro.

Moablaou ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Son responsable nourrit
un projet d’extension dont l’objectif dans deux ans est d’atteindre 400 000 volailles. Il compte également diversifier ses activités en faisant dans les poulets de chair et la découpe.

« Il ne faut pas tricher »

« On ne peut pas passer sa vie à dépendre des autres. Entreprendre ne veut pas dire qu’il faut avoir fait Harvard ou les grandes universités. Il ne faut pas négliger un secteur d’activité quand on est chômeur », conseille Abou Simbel Ouattara aux jeunes à qui il tend la main. « Ma porte est ouverte à tous ceux qui sont intéressés par l’aviculture. Dans la vie, il ne faut pas tricher. Il faut travailler avec passion et être patient. Un chef d’entreprise ne devient réellement chef qu’après 10, 15, 20 ans », se convainc-t-il.

Herman Frédéric Bassolé
Lefaso.net

source

http://fasorama.lefaso.net/spip.php?article86

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